Tout un monde lointain de Célia Houdart

Voyages Littéraires
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Tout un monde lointain de Célia Houdart
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Bande annonce

C’est un roman dont le personnage principal est une maison. Une maison à l’abandon. Une maison qui a dû être si belle autrefois, si étonnante et vivante dans les années 20, du temps où elle a contribué à réinventer la modernité.


Citations


Baudelaire, sur un air de violoncelle…

« Tout un monde lointain, absent, presque défunt »
Célia Houdard explique avoir emprunté son titre au poème de Baudelaire « La chevelure ».
L’auteure découvre plus tard qu’il s’agit aussi du titre d’un concerto pour violoncelle d’Henri Dutilleux, composé entre 1967 et 1970. Une musique atonale composée de cinq mouvements dont chacun s’inspire d’un extrait de poème des Fleurs du mal.
Nous avons choisi l’extrait d’une version interprétée par Gauthier Capuçon pour habiller la fin de notre podcast.


Scènes des avant-gardes

Célia Houdard construit son intrigue avec en toile de fond deux pages de l’histoire de l’art qui marquent un tournant vers la modernité :
Le Monte Verità, en 1900 : scène de l’effervescence de pensée qui précède le chaos de la première guerre mondiale.
La villa E-1027, dans les années 1920-1930 : scène d’une autre vague d’effervescence créative, qui précède le chaos de la seconde guerre mondiale.


« Qui » est cette villa E 1027 ?

Un an avant d’écrire ce roman, l’auteure visite la villa et tombe sous le charme. Elle édite aux éditions P en 2016 son carnet de voyages d’une trentaine de pages, intitulé « French riviera, promenade autour de la villa E-1027 ». En voici quelques extraits :

Il y avait une odeur de feuilles et d’humidité ( …). Des oranges jonchaient le sol. Au loin, dans une lumière éblouissante on devinait un plan de béton blanc. Était-ce la villa E-1027 ? (…) Au bout de l’escalier, les marches devenaient des dalles de rochers. L’une, plus large que les autres, en forme de petite terrasse ronde, rappelant le haut d’une tourelle, créait une avancée, suspendue au-dessus de la mer. Là, j’ai lu, tracé en arc de cercle à la peinture noire : « ZONE DU SILENCE ».

French riviera, promenade autour de la villa E-1027 , Célia Houdart, 2016

La villa E-1027 a été construite entre 1926 et 1929 par Eileen Gray, designer irlandaise, et Jean Badovici, architecte roumain. Amis et amants dont les initiales cryptées se combinèrent pour baptiser la villa, dont le nom sonne encore un peu comme un rendez-vous secret : E pour Eileen, 10 (10ème lettre de l’alphabet) pour le J de Jean, 2 pour le B de Badovici, 7 pour le G de Gray.

French riviera, promenade autour de la villa E-1027 , Célia Houdart, 2016

La villa E-1027 est restaurée aujourd’hui, nous pouvons la visiter. Elle est toujours là, accueillante, constante, surmontée de son toit-terrasse dont l’escalier hélicoïdal ressemble à un phare de verre. Elle semble observer tout ce monde de passage écrire sa propre histoire.

Elle continue de chuchoter aux visiteurs les bons mots qu’Eileen Gray avait écrits çà et là sur les murs et le sol : « Beau temps », « Entrez lentement », « Invitation au voyage », « chapeaux », « oreillers », ou bien « défense de rire ». Une maison qui parle, c’est vraiment un personnage, n’est-ce pas ?


Eileen Gray, Jean Badovici et Le Corbusier

Le Corbusier était secrètement envieux d’Eileen Gray : d’abord parce que cette femme avait préféré son ami Jean à lui, le grand, l’incontestable génie de l’architecture ! On dit qu’il passait le plus clair de son temps à la villa, jouissant de sa douceur de vivre, de ses aménagements célébrant le bien-être : la disposition des espaces, la lumière apprivoisée derrière des toiles tendues, les transats, les meubles à secrets… Le Corbusier est fasciné ! Lui qui a passé sa vie à mettre au point une règle d’harmonie basée sur un calcul savant… Lui qui a étudié le nombre d’or, qui a élaboré son fameux Modulor pour cela ! Voilà qu’une femme, avec sa seule intuition, fait aussi bien, voire mieux que lui ! Il est inconcevable pour Le Corbusier qu’une femme parvienne à un tel degré de perfection et de modernité. Qui plus est une femme qui n’est même pas architecte !


Le nombre d’or et la recherche de l’harmonie

Quelle est le secret qui définit le beau ? Quelles proportions tendent vers la perfection ? Comment atteindre l’harmonie ? Voilà des questions où l’art et la science se rejoignent :

Giordano Bruno projette l’homme dans le pentagone et étudie ses formes en tant que matrices symboliques de corrélations entre l’homme et la nature.

Léonard de Vinci modélise dans son célèbre schéma de l’homme de Vitruve l’équilibre des proportions selon le nombre d’or. Ces formes schématisent les correspondances du macrocosme au microcosme.

Dans les années 1910 au Monte Verità, le chorégraphe Rudolf Laban intègre le mouvement à ces études : il utilise l’icosaèdre pour décomposer et codifier les traces du corps humain dans l’espace. La danse est pour lui une « architecture vivante ». Il invente un nouveau langage, et même une écriture qui lui correspond.

Le Corbusier élabore en 1943 le Modulor (mot composé par « module » et « nombre d’or »). Cette règle indique la taille idéale des espaces de l’habitat humain et de ses aménagements. Il s’en sert comme d’un outil pour concevoir des modèles-standard qu’il expérimente à la Cité radieuse de Marseille.


Le Monte Verità

Nous sommes au seuil du XXème siècle. Tout a commencé par un rêve. Six jeunes-gens de milieu favorisé en ont assez de la frénésie des villes, des artifices de la haute société. Dans une petite librairie anarchiste à Munich, ils se retrouvent pour y rêver d’un monde sans argent, un monde qui retrouve les principes essentiels, au plus près de la nature.

En 1900, ils décident de réaliser leur rêve.

Gustav Gräser, l’un des fondateurs du Monte Verità en 1900.

Avocat dans sa « première vie », Gustav Gräser aurait inspiré Demian, le roman initiatique d’Herman Hesse écrit en 1919. 

Cette photographie a peut-être inspiré la partie imaginaire du roman de Célia Houdart ?

Le programme de ces jeunes-gens est une sorte d’utopie communautaire : ils sont anticapitalistes, écologistes et même véganes avant l’heure. Ils se nourrissent de fruits et légumes de leur production, de graines, de racines ; ils portent des vêtements qu’ils ont conçus et confectionnés eux-mêmes ; ils travaillent la terre, se régénèrent aux bains de soleil, vivent volontiers nus et surtout, ils dansent !

Haut lieu de la joie et du jeu, lieu affranchi des conventions et de la consommation, où le corps rejoint la pensée libre, le Monte Verità a attiré grand nombre d’artistes avant-gardistes dans tous les domaines de l’art. Kandinsky, Paul Klee, mais aussi Rudolf Steiner, Otto Gross, pionnier de la psychanalyse et Jung, qui y séjourne régulièrement de 1906 à 1913. Côté littérature, on y trouve le poète Rilke et surtout Herman Hesse qui intègre le sanatorium en 1907 et en 1917.


Danser sa vie

Le Musée du Centre Pompidou a présenté en 2012 une exposition intitulée « Danser sa vie ». Des photographies originales datant de cette époque y étaient présentées.

« Danser sa vie », voilà un programme qui aurait pu être le mot d’ordre de la petite troupe à l’origine du Monte verità.
Le chorégraphe Rudolf Laban ouvre là-bas sa première école en 1913 après y avoir expérimenté ses cours d’été pendant plusieurs années. Laban s’affranchit des codes du ballet classique, abandonne les tutus corsetés et échange les orchestres symphoniques contre de simples percussions, que les danseurs eux-mêmes sont parfois invités à jouer. Il libère les corps, favorise l’expression et encourage les mouvements basés avant sur la connaissance du corps. Un pas décisif vers une nouvelle conception de la danse.

« Laban avait l’extraordinaire qualité de vous rendre artistiquement libre, capable de trouver ses propres ancrages, et ainsi stabilisé, de découvrir son propre potentiel, de développer sa propre technique et son style individuel de danse. »

The Mary Wigman book : her writings, par Walter Sorell, 1975, p. 35.

Photographie de Betty Baaron Samoa Totim ? Isabelle Adderly, Rudolf von Laban, Maja Lederer, Katia Wulff, dansant à Ascona 1914 – 18×24 cm

Musiques qui accompagnent notre podcast

la mer de Charles Trenet, version instrumentale piano jazz par Etienne Venier
L’autre valse de Yann Tiersen
Clair de lune de Debussy
Heaven up there de Palace
The rhythmic eight par Kansas City Kitty
Sonate au clair de lune de Beethoven
3ème Gnossienne d’Eric Satie
Tout un monde lointain d’Henri Dutilleux, interprété par Gauthier Capuçon

Le générique est extrait du titre L’instant magique d’Alex Pardossi