Bande- annonce
Quand le chemin de fer apparaît, au tout début du 19ème siècle, il suscite surtout la peur : Il est noir, lourd, il grogne, il râle, il fume, il crie ! Rien ne l’arrête quand il est lancé.
Victor Hugo, extrait de sa lettre à Adèle, 22 août 1837 :
« Il faut beaucoup d’efforts pour ne pas se figurer que le cheval de fer est une bête véritable. On l’entend souffler au repos, se lamenter au départ, japper en route ; il sue, il tremble, il siffle, il hennit, il se ralentit, il s’emporte : il jette tout le long de la route une fiente de charbons ardents et une urine d’eau bouillante ; d’énormes raquettes d’étincelles jaillissent à tout moment de ses roues ou de ses pieds, comme tu voudras, et son haleine s’en va sur vos têtes en beaux nuages de fumée blanche qui se déchirent aux arbres de la route. »
Giosué Carducci, extrait de Hymne à satan, 1865 :
« Un bello e orribile mostro si sferra,
Corre gli oceani, corre la terra :
Corusco e fùmido come i vulcani,
I monti supera, divora i piani;
Sorvola I baratri ; poi si nasconde
Per antri incogniti (…) »« Un bel et horrible monstre se déchaîne,
Traduction Béatrice Pardossi-Sarno
Court les océans, court la terre,
Scintillant et fumant comme le sont les volcans,
Il domine les montagnes, il dévore les plaines ;
Il survole les abîmes ; puis il se cache
Dans des antres inconnues (…) »
Emile Zola, extrait de La bête humaine, 1890 :
« La pauvre Lison n’en avait plus que pour quelques minutes. Elle se refroidissait, les braises de son foyer tombaient en cendre, le souffle qui s’était échappé si violemment de ses flancs ouverts, s’achevait en une petite plainte d’enfant qui pleure. Souillée de terre et de bave, elle toujours si luisante, vautrée sur le dos, dans une mare noire de charbon, elle avait la fin tragique d’une bête de luxe qu’un accident foudroie en pleine rue. Un instant, on avait pu voir, par ses entrailles crevées, fonctionner ses organes, les pistons battre comme deux cœurs jumeaux, la vapeur circuler dans les tiroirs comme le sang de ses veines ; mais, pareilles à des bras convulsifs, les bielles n’avaient plus que des tressaillements, les révoltes dernières de la vie ; et son âme s’en allait avec la force qui la faisait vivante, cette haleine immense dont elle ne parvenait pas à se vider toute. La géante éventrée s’apaisa encore, s’endormit peu à peu d’un sommeil très doux, finit par se taire. Elle était morte. »
Jean-Baptiste Fressoz s’amuse à lire les rapports médicaux
Ahhh la peur du progrès, ce n’est pas nouveau!
Une invitation à rire des fake-news que scientifiques et médecins hygiénistes ont abondamment publiées pour tenter de freiner le progrès.
Jean-Baptiste Fressoz, L’apocalypse joyeuse, une histoire du risque technologique, éd. Du Seuil, 2012.
Alphonse de Lamartine, à la Chambre des Représentants : séance du 11 mai 1848 :
« Le train, c’est la conquête du monde, des distances, des espaces, du temps. Cela multiplie à l’infini les forces humaines. C’est l’inconnu, mais l’inconnu certain. »
Voyage de Nietzsche en Italie en 1876
Ce voyage en train provoque une remise en question de sa philosophie, il y écrit Humain, trop humain, qu’il qualifiera comme son « œuvre de crise », et qui marque l’adoption d’une écriture fragmentaire et non systématique, les aphorismes formant une sorte de mosaïque dont l’enchaînement intermittent finit par faire sens.
Continu ? discontinu ? On dirait un œil à la fenêtre d’un train en marche !
Victor Hugo, phénoménologue sans le savoir…
« C’est un mouvement magnifique et qu’il faut avoir senti pour s’en rendre compte. La rapidité est inouïe. Les fleurs au bord du chemin ne sont plus des fleurs, ce sont des taches ou plutôt des raies rouges ou blanches ; plus de points, tout devient raie. »
Extrait de sa lettre à Adèle, 1837
Edmund Husserl et le retour aux choses mêmes
Cesser de construire des forteresses de raisonnements et revenir simplement à l’observation monde tel qu’il se présente. C’est là tout le projet de la phénoménologie. Une véritable révolution, qui va permettre d’envisager que malgré les indiscutables démonstrations de la science, lorsqu’on est dans un train en marche, le proche est flou et le lointain est net !
Réflexions…
Dans les pas de Victor Hugo qui pose comme hypothèse que les machines sont à l’image des hommes qui les conçoivent, la révolution industrielle pose aux hommes de son temps les mêmes questions qui nous animent aujourd’hui :
Les créations de l’homme ont-elles une âme ? Ou plutôt : n’y a-t-il dans les machines que l’humanité que nous y projetons ? Une illusion ? À l’instar de l’intelligence artificielle, l’intelligence technique ou le génie mécanique ne sont-ils pas proprement humains… trop humains dirait le philosophe ?
Musiques
Duke Ellington – Take the a train
Pierre-Joseph-Alphonse Varney : chant des révolutionnaires de la Commune, 1848
Leo Daniderff : musique de Je cherche après Titine, 1917, reprise par Chaplin sous le titre Non-sense Song en 1936 dans le film Les temps modernes.
Tarentelle napolitaine, musique traditionnelle interprétée à la mandoline par hvlovely911
Ce podcast est une émission spéciale de la série des Voyages littéraires.
Une production Tout avec presque rien
Texte et voix : Béatrice Pardossi-Sarno
Habillage, mixage, image : Marie Michaux